(lettre lue à ma grand-mère pour ses 80 ans le 1er Mai 1993)

Ma chère mémé,

Comme tu es restée une éternelle jeune fille, on n'insistera pas trop, par galanterie, sur l'âge que tui viens d'avoir, parce que ça ne se fait pas, et moi, voir vieillir le autres, plus jeunes ou plus vieux, ça me donne des cheveux blancs, quand il en reste.

Mais, on sait bien pourquoi on est tous ou presque réunis aujourd'hui.

Aussi, je voudrais rendre hommage à tous les rôles que tu as tenu au cours de ta vie de femme.

D'abord à ton rôle de mère. Avoir élevé six enfants dans une époque troublée et difficile comme la notre n'a pas dû être, j'imagine, chose aisée. Je crois qu'on peut dire aujourd'hui qu'ils sont devenus des gens biens et que tu as brillamment donné le flambeau.

Ensuite, il faudrait rendre hommage à ton rôle de grand-mère exceptionnelle.

Certains, c'est vrai, en ont plus profité que d'autres.

Je crois faire parti de ceux là . Je crois même que j'ai eu la chance d'être un peu ton petit dernier. Et si, être ton dernier, c'était bénéficier d'encore plus d'expériences, je t'en suis infiniement reconnaissant.

Si tu savais tous les bons moments que j'ai pu garder de cette époque.

Je me souviens parfaitement de la viande hachée de cheval et de la purée de pommes de terre. Je crois que j'en n'ai jamais mangé de meilleure.

Mais, il a bien fallu que j'apprenne à manger autre chose, des haricots verts par exemple.

Je me souviens des fois où on allait au marché Place Daumesnil, des tiercés au Voltigeur, des vacances à Sète, de Moulin-neuf, du marché à Montpont avec la mère Alexis et des pochettes de bandes dessinées que tu m'achetais, des bonbons à la menthe que tu me donnais lorsque j'avais mal au coeur en avion ou en voiture.

Je me souviens de l'odeur de ta poudre de riz, d'un parfum si frais, si fleuri qui t'entoure lorsque je t'embrasse.

Tu comprends, peut-être, maintenant pourquoi mon choix s'est porté sur ce parfum.

Primo, lorsque je l'ai senti, j'ai tout de suite penser à toi. Il y a quelque chose d'un peu ancien dans ce mélange dont je te rappelle la composition : une ouverture fleur d'oranger et d'essence de rose. Un coeur orchidée et iris, un fond ambré et vanille douce.

Deuxio, la boite en métal, originale, rappelle une boite de conserve banale, tiens, pourquoi pas une boite d'haricots verts. Tu sais, l'objet de ma première rupture avec toi, quand j'ai appris que dans la vie on ne mangeait pas seulement du steak haché de cheval et de la purée.

Enfin, le flacon, superbe, rappelle la femme que tu as été, fine et belle. Je sais de quoi je parle j'en ai une représentation chez moi.

Et puis l'égérie de Gaultier n'est-elle pas une grand-mère ?

Tous les symbole étaient là présents, je ne pouvais pas ne pas saisir une telle occasion.

J'imagine que tu n'en mettras pas trop souvent, mais quelques fois, tu pourrais laisser glisser quelques gouttes sur ton cou pour te souvenir combien je t'aime et comment je suis fier de t'avoir pour grand-mère.

Laurent.

[ma grand-mère a 91 ans aujourd'hui]